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Présidentielle 2024 : Le Sénégal à la croisée des chemins face au défi sécuritaire

Par Habib Léon NDIAYE*

 Dans un peu plus de cinq (05) mois, nous nous rendrons aux urnes pour élire le 5ème président de notre République.

L’élection présidentielle, dit-on, est la rencontre entre un homme et son peuple.

 

Son issue est souvent tributaire de la jonction entre l’offre programmatique du candidat et l’adhésion qu’elle aura suscitée auprès des électeurs, sur fond d’espoir et de contrat de confiance.

 

Il est donc capital pour les aspirants à la magistrature suprême de convaincre par le contenu programmatique, mais surtout de rassurer l’électorat par leurs engagements, par rapport aux enjeux du moment, leurs attitudes, le corpus axiologique incarné, le pedigree, entre autres.

 

Avec une population, surtout une jeunesse, de plus en plus exigeante (et c’est tant mieux d’ailleurs) sur la transparence, la reddition et l’éthique dans la gouvernance publique, les simples déclarations d’intention ne sauraient prospérer et rencontrer l’adhésion de l’électorat.

 

Aussi, autant peut-on se réjouir de la diversité des profils des candidats, autant peut-on nourrir des appréhensions quant à la qualité des débats qui rythmeront cette présidentielle.

De toute façon, chacun se fera une religion devant tant de candidatures !

 

En attendant d’avoir connaissance des offres politiques de nos différents candidats, il ne serait pas superflu de rappeler quatre éléments contextuels majeurs de la prochaine élection présidentielle, sous le prisme sécuritaire : le début de l’exploitation des importantes réserves pétrolières et gazières, la recrudescence des coups d’État, notamment dans l’espace CEDEAO, la prégnance de l’activité terroriste dans la sous-région et la reprise des flux migratoires clandestins.

 

Autant dire que le triptyque paix- sécurité-économie devrait occuper une place centrale dans le débat de la présidentielle et nous sortir, un moment, des lieux communs ennuyeux et des réchauffés que nous servent à longueur d’élections nos politiciens en manque d’inspiration et d’idées.

 

Les débats ou les discours des candidats ne sauraient éluder ces problématiques.

L’enjeu sécuritaire ne saurait être un appendice du contenu programmatique des candidats, encore moins un aspect de la réthorique politicienne, laquelle, pour éviter un sujet de fond, s’empressera, par inculture ou par dérobade, de le ranger dans le registre des questions sensibles.

 

On ne peut bâtir une nation prospère et asseoir un développement durable en mésestimant la problématique sécuritaire de notre État et de notre environnement sous-régional.

 

Un pays, nous rappelle, fort opportunément, le Chancelier prussien Bismarck, « fait son histoire mais subit sa géographie ».

Sans développer tout un programme de gouvernance ( je ne suis pas candidat ! ! ! ), je voudrais juste évoquer quelques aspects qui me paraissent revêtir toute leur pertinence dans le contexte national et sous-régional actuel, au regard des enjeux et défis polymorphes qu’ils charrient.

 

Sur les ressources gazières et pétrolières, au-delà du dispositif institutionnel, législatif et réglementaire développé, un aspect me semble important à souligner, tant il pourrait avoir des incidences futures sur la cohésion sociale et nos rapports de bon voisinnage avec les pays riverains.

 

Partant de mon expérience professionnelle et de ce que j’observe un peu partout, je puis parier que l’exploitation de nos ressources pétrolières et gazières et son impact sur les autres secteurs de notre activité économique, entrainera un afflux de ressortissants de la sous-région en quête d’emplois, sous forme d’immigration régulière comme irrégulière.

 

Cette situation sera favorisée, en grande partie, par la stabilité de notre pays et notre tradition d’hospitalité, auxquelles il faudra ajouter la perméabilité de nos frontières.

 

Il serait illusoire de penser que nos voisins nous observeraient exploiter, en vase clos, nos ressources, sans chercher à en profiter.

Nous-mêmes, n’avons- nous pas parcouru l’Afrique centrale (République démocratique du Congo, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine ) pour profiter des richesses de son sous-sol ?

 

Les emplois nous seront disputés, sur fond de compétition professionnelle et de quête de mieux-être.

Nous devons nous y préparer, car nous sommes dans un espace communautaire et nous avons souscrit à des conventions et règles

 

garantissant la libre circulation des biens et des personnes et offrant des opportunités de séjour et d’investissement.

Notre modèle sociétal d’accueil, d’hospitalité et d’intégration sera éprouvé.

 

Mes amis de Kédougou ne diront pas le contraire, au vu des transformations sociales et des incidences sécuritaires induites par l’exploitation des ressources aurifères.

Je ne joue pas à faire peur à qui que ce soit.

 

Mais, c’est une réalité à laquelle il faudra, tôt ou tard, faire face et je ne souhaiterais pas, qu’en manque de solution face à la question de l’emploi, l’on prenne demain les « étrangers » comme des boucs émissaires.

 

Nous avons vu les émeutes de l’emploi en Afrique du Sud, avec le mouvement  » Dudula » qui signifie  » refouler » en zoulou, prenant pour cible les travailleurs migrants à qui il est reproché, entre autres, de voler des emplois aux sud-africains.

 

Les contextes ne sont, certes, pas les mêmes, mais cette situation renseigne à suffisance sur les potentiels risques que pourraient entraîner les flux migratoires sur la situation de l’emploi et sur les rapports de voisinage.

 

Il reviendra aux futurs gouvernants d’être proactifs et de faire dans la prospective. Gouverner, c’est prévoir, dit-on !

Parallèlement, la responsabilité sociétale des entreprises devra être scrupuleusement respectée et surveillée pour ne pas être réduite à la construction de quelques salles de classes ou de postes de santé !

 

Sur la question des coups d’État, en scrutant l’horizon, on remarque qu’une large part de la bande du Sahel est atteinte : Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger, Guinée…

 

Et dans ce lot, deux pays limitrophes du Sénégal sur les cinq qu’il compte.

Le Sénégal constitue donc un ilôt de stabilité dans un océan d’incertitudes.

Cette stabilité n’est pas le fait du hasard.

 

Elle a été bâtie sur fond d’une gouvernance publique prenant le dessus sur les clivages communautaires, religieux et ethniques et mettant en avant la méritocratie et la cohésion nationale.

 

Nos gouvernants, faudrait-il le souligner, ont, au lendemain des indépendances, plus cherché à batir un Etat qu’à asseoir un système politique communautaire ou clanique de confiscation du pouvoir et de prévarication des ressources nationales, comme on a pu le constater dans pas mal d’États post-coloniaux africains.

 

Elle a reposé, cette stabilité, sur une armée imbue des valeurs républicaines, reflet de notre diversité culturelle et sociologique, mais surtout miroir de notre socle unique : notre commun vouloir de vie commune.

 

Nous nous devons donc de consolider et de fortifier ce rempart de notre sécurité collective et renforcer sa montée en puissance dans un contexte international de plus en plus trouble, marqué par des périls multiformes.

Pour autant, nous ne devons point verser dans la béate autoglorification.

 

En cela, la responsabilité des hommes politiques est, constamment, interpelée, car les putschs constatés, ça et là, sont aussi le reflet de l’échec des hommes politiques dans les réponses aux besoins et aspirations des populations ou encore dans leur entêtement à ramer à contre courant de la volonté populaire, notamment quand souffle, inoxerablement, le vent du changement.

 

Aussi, me semble-t-il que l’axe d’effort de nos forces de défense et de sécurité devrait être davantage orienté vers la sanctuarisation de notre territoire, la préservation de nos installations névralgiques et de nos ressources stratégiques plutôt que de les épuiser dans la gestion quotidienne des manifestations politiques.

 

J’invite la classe politique, dans son ensemble, notamment les candidats à la présidentielle, à oeuvrer pour un « pacte républicain de stabilité », visant à pacifier l’espace public et à permettre à nos forces de défense et de sécurité de se concentrer sur les enjeux sécuritaires du moment, parmi lesquels le terrorisme.

 

Sur ce point, la situation des républiques soeurs du Mali et du Burkina Faso et, plus globalement, du Sahel devrait nous interpeler.

Voilà des États en proie, depuis quelques années, à de véritables secousses sécuritaires affectant profondément l’expression et l’affirmation de l’autorité de l’État sur de bonnes portions de leurs territoires.

 

Cette métastase terroriste sur la bande du Sahel a été, peu ou prou, accentuée par la chute du régime lybien de Kadhafi, avec ses incidences sur l’implantation des bandes armées et autres milices et la circulation des armes légéres.

 

C’est d’ailleurs dans ce contexte généralisé d’insécurité que le groupe terroriste Daech s’implanta dans le pays, notamment dans la région de Syrte, avec des tentacules et connexions sur toute la zone du Sahel.

 

Aujourd’hui, la lutte terroriste est menée sous la bannière de la coalition du JNIM composée des principaux groupes islamistes militants opérant au Sahel, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

 

D’ailleurs, ce 16 septembre 2023, les trois Chefs d’État des pays sus cités ont signé la Charte du LIPTAKO-GOURMA, instituant l’Alliance des États du Sahel (AES), ayant pour objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle.

A noter que la zone du Liptako-Gourma qui couvre des parties du nord du Mali, du Burkina Faso et du Niger est devenue l’épicentre de la violence semée par les groupes terroristes au Sahel.

 

Or, ce qui se passe dans ces pays et sur toute la bande du Sahel, d’une manière générale, devrait nous intéresser car à même d’affecter notre sécurité.

 

En cela, la partie orientale de notre pays devrait retenir l’attention, car, en plus d’être un espace frontalier avec le Mali, donc potentiel axe d’infiltration, ses ressources ne manqueraient pas d’aiguiser des appétits.

 

Il faut dire que, dans leurs stratégies d’occupation du terrain, les groupes terroristes aiment cibler les espaces frontaliers ou transfrontaliers où ils peuvent tirer profit de la vulnérabilité des États du fait du faible maillage sécuritaire.

 

Parallèlement à la surveillance de nos frontières, une posture républicaine, sans équivoque, devrait être adoptée contre les dérives verbales et positions incadescentes de certains prédicateurs.

 

En effet, au niveau interne, certains discours et propos régulièrement distillés dans l’espace public, entraînant, au plan religieux, des positions clivantes entre communautés confessionnelles méritent, sans faux-fuyant, des réponses fermes de la part des autorités publiques et de tout prétendant au fauteuil présidentiel.

Il faut combattre les germes de la radicalisation et de la division à la souche.

 

Le travail de construction et de consolidation de notre cohésion nationale, entrepris au lendemain des indépendances par les pères fondateurs, ne saurait être sacrifié sur l’autel de prêcheurs et autres prédicateurs en quête de buzz ou aux motivations encore inavouées.

 

Enfin, la reprise de l’émigration clandestine, avec son lot de morts, devrait sonner comme un tocsin pour rappeler à notre futur Président l’urgente nécessité de faire une révision générale des politiques de l’emploi, jusque-là mises en oeuvre, en vue de redéfinir un nouveau cap en adéquation avec les attentes légitimes des jeunes.

 

Avec une proportion d’au moins 70 % de jeunes et les dizaines de milliers de diplômés qui se présentent annuellement sur le marché de l’emploi, l’insertion professionnelle des jeunes devient une bombe que tout pouvoir a intérêt à désamorcer au plus vite pour éviter sa déflagration et ses effets destructeurs.

 

Franklin Roosevelt disait que  » la véritable liberté individuelle ne peut exister sans sécurité économique et indépendance. Les gens qui ont faim et qui n’ont pas d’emploi sont ce dont sont faites les dictatures ».

 

Une jeunesse rendue fragile et vulnérable par le chômage et l’inculture est un terreau fertile pour semer les grains de la radicalisation et de la révolte populaire.

La balle est à présent dans le camp des candidats.

 

A eux de savoir la saisir au rebond pour marquer le but de la victoire, celle qui délivre le peuple de ses angoisses, de ses inquiétudes et de ses frilosités, mais surtout la victoire qui soude notre destin collectif, comme nous le rappelle notre devise nationale, « un Peuple-un But-une Foi ».

 

Vive la République !

 

Vive le Sénégal !

 

*Habib Léon NDIAYE

Administrateur Civil

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