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Problématique de l’accès aux soins de santé au Sénégal (Contribution d’un acteur)

Au Sénégal, la politique de Santé trouve son fondement dans la constitution qui dispose en son article 14 que « l’Etat et les collectivités publiques ont le devoir de veiller à la santé physique et morale de la famille, en particulier, des personnes handicapées et âgées. L’état garantit aux familles en général et celles vivant en milieu rural en particulier l’accès au service de Santé et au bienêtre… »

Cette politique de santé reste basée longtemps sur les soins de santé primaires (SSP) et prend en compte les engagements internationaux de notre pays vis-àvis des organisations sous régionales, régionales et mondiales en matière de Santé dont les Objectifs du millénaire pour le Développement (OMD).

La problématique de l’accès aux soins ou des soins de santé dont je précise que l’un ou l’autre constitue une question de sémantique dans les termes mais dans le fond dessine des visions stratégiques et d’approche différentes en termes de disponibilité des soins.

On ne saurait faire le diagnostic de l’accès aux soins de santé sans revenir sur l’organisation et le fonctionnement institutionnel de nos établissements publics de Santé.

Pour rappel le Sénégal a adopté la réforme hospitalière en Février 1998 par la loi 98-08 du 02 Mars 1998 portant réforme hospitalière et la loi 98-12 du 02 mars 1998 relatif à la création, à l’organisation et au fonctionnement des EPS.

Ces deux lois sont complétées par deux décrets d’application :

Le décret 98-701 du 26 Aout 1998 relatif à l’organisation des EPS

Le décret 98-702 portant organisation administrative et financière des EPS.

Cette réforme visait essentiellement l’amélioration de la qualité des services et le renforcement des capacités de gestion.

La mise en place de cette réforme s’est opérée dans un contexte caractérisé par la faible fréquentation des structures sanitaires publiques. L’objectif est de doter aux hôpitaux des outils de gestion performants et une gestion autonome au sein desquels la notion de performance se substituerait à la logique administrative.

Les orientations et directives de la politique nationale de Santé assurent l’accès aux soins de Santé de qualité à tout citoyen quel que soit son statut socioéconomique. Cette politique s’articule sur entre autres points :

– L’approfondissement de la décentralisation et de la gouvernance sanitaire locale

– -La promotion de la couverture de l’assurance du risque maladie

– -Protection des groupes vulnérables

– -Renforcement du partenariat public-privé

– Promotion de la multisectorialité

– -Culture de la Gestion axée sur les résultats

– Promotion de la stratégie de financement basée sur la performance

Telle que consacrée, cette politique de santé, basée sur des principes d’universalité, d’intégration et d’absolutisme, fait de la santé un droit fondamental pour tout être humain quel que soit sa condition sociale, économique ou professionnelle et l’état, le garant de ce principe.

Généralement l’accessibilité aux soins hospitaliers est analysée sur les angles financier et géographique. De notre point de vue cette démarche parait réductrice en ce qu’elle occulte d’autres éléments tels que la disponibilité des ressources humaines, des équipements et infrastructures.

Ils s’y ajoutent également des aspects socio-culturels.

L’accessibilité aux soins peut être définie comme la possibilité offerte aux populations de bénéficier des soins de qualité du fait de la proximité des structures, des couts abordables de prestations, des facilités de communication et de l’existence de manière globale de repères socioculturels pour les patients.

Sur le plan géographique, nous constatons une répartition inégale des structures entre Dakar et les régions avec l’implantation de tous les EPS 3 (dernier niveau de référence du système de santé) à Dakar à l’exception des 02 EPS de la ville sainte de TOUBA.

Cette clé de répartition ne garantit pas les principes de démocratisation des soins et de mobilité des compétences.

En effet la dynamique nouvelle de création des UFR de santé devrait s’accompagner d’une politique d’érection d’établissement public de santé

niveau 3 afin d’impulser des pôles d’excellence régionaux avec le soutien du personnel universitaire au grand bénéfice des populations périphériques.

La problématique de l’accessibilité financière se rapporte au contexte actuel du pays et un faible taux de couverture maladie.

Les dernières statistiques montrent que seuls 20% de la population bénéficient d’une couverture sociale.

La prise en charge des cas sociaux découle du droit à la santé reconnu par la constitution pour les couches démunies et vulnérables. C’est donc par soucis d’équité, de lutte contre l’exclusion sociale.

La prise en charge de ces patients peut être onéreuse pour les hôpitaux surtout quand ils sont atteints de maladies chroniques.

Il en découle des travaux de la concertation nationale sur le système de santé en 2006 et du conseil interministériel de 2008 de la nécessité d’inscrire la prise en charge des maladies dites à soins couteux (cancers, maladies rénales, pathologies cardiaques.) dans le cadre d’un programme national piloté à un plus haut niveau.

Malheureusement les recommandations de ces travaux sont actuellement peu utilisées.

Les avancées récentes en termes d’implantation des unités de dialyse et l’érection du centre international de cancérologie constituent des atouts majeurs dans la promotion de l’accès aux soins.

Pour une analyse plus complète de l’accessibilité aux soins hospitaliers, la prise en compte des déterminants socio-culturels est primordiale. Il n’est bien évidemment pas ici le lieu de faire une analyse socio-anthropologique de l’espace hospitalier mais de simplement relever quelques notions émergées à travers notre pratique hospitalière quotidienne. Nous rappelons l’assertion de Fassin « la médecine est un ensemble de pratiques sociales ».

L’interaction entre les patients et l’espace hospitalier constitue une trajectoire complexe et éprouvante que les populations hésitent à entreprendre.

Les conditions de travail dans les services d’urgence représentent pour de nombreux patients et praticiens un calvaire y compris des difficultés de communication pour une bonne compréhension des besoins et une orientation correcte des malades.

L’accès aux soins de santé nécessite de repenser notre approche de gestion hospitalière avec plus d’humanités vis-à-vis des patients et des accompagnants.

Concernant la politique des ressources humaines, le constat est sans appel en termes d’insuffisance de personnels qualifiés. Cette réalité contraste avec une dynamique d’un recrutement ne prenant pas en compte les besoins spécifiques des hôpitaux et ne répondant pas aux critères de compétences traduisant les besoins de l’hôpital. La plupart de ces recrutements sont guidés par des objectifs d’appartenance politique ou familiale.

Une répartition démocratique et équitable nécessite d’engager des réflexions sur les mécanismes de fidélisation du personnel dans les zones dites difficiles.

En effet, aucune politique de rémunération particulière n’est appliquée aux personnels de santé des zones éloignées parfois exerçant dans des conditions insoutenables et en l’absence de toutes infrastructures sociales de base.

La formation des ressources humaines en santé particulièrement médicale connait énormément de difficultés que ça soit le cycle général ou la formation des spécialistes.

Il faut déplorer avec véhémence l’absence de politique de planification et d’intégration des ressources humaines en fonction des besoins du système de santé.

Si on prend l’exemple de l’internat des hôpitaux qui produit chaque année 68 spécialistes dont 45 médecins, 15 pharmaciens et 08 psychiatriques et malgré le déficit criard de spécialistes dans notre pays, aucune politique soutenue et durable d’intégration des anciens internes dans le système de santé n’est dégagée.

Une meilleure accessibilité aux soins de santé suppose une maitrise des effectifs avec une planification intelligente en fonction des besoins exprimés par le système.

Malgré les ressources mobilisées par l’état, les partenaires techniques et les populations pour financer l’hopital, les performances réalisées ne sont pas à la hauteur des attentes.

Aujourd’hui, les mêmes questions qui avaient appelé des décisions majeures ayant conduit à la réforme, et faisant l’objet de recommandation lors des concertations de 2006 sont à nouveau soulevées par les populations, les professionnels hospitaliers et les autorités gouvernementales.

Des efforts substantiels doivent être réalisés pour fondamentalement, à

partir des valeurs de performances, d’équité et de justice sociale d’aboutir aux impératifs suivants :

-Adapter l’offre de soins hospitaliers au besoin des populations

-Réduire les inégalités en matière d’accès aux soins de santé

-Assurer en permanence une continuité des soins de qualité

Pour ce faire des réformes majeures sont attendues pour relancer le système hospitalier dont on peut citer :

Erection des EPS 3 couplés aux UFR de santé régionales

Digitalisation de la santé avec la télémédecine

Respect de la pyramide sanitaire pour éviter d’engorger les hôpitaux

Mise en place d’une politique de planification des ressources humaines

Développement partenariat public-privé pour inciter les entreprises privées

à participer à l’effort de santé dans le cadre de leur responsabilité sociétale d’entreprise

Fonction publique hospitalière avec statut commun du personnel des EPS

La problématique de l’accès aux soins de santé au Sénégal relève essentiellement d’un dysfonctionnement structurel et non conjoncturel.

La satisfaction des besoins des populations en matière de sante nécessite d’instaurer une dynamique nouvelle caractérisée par une vision stratégique réunissant les acteurs autours d’objectifs clairs et en harmonie avec les enjeux actuels dans une logique de performance.

Une volonté politique nationale active et soutenue à haut niveau.

Les perspectives de résultats tangibles et la capacité à progresser.

MAIS QU’ATTEND LE PAYS ?

Dr Fallou Niang

Ancien interne des hôpitaux

Médecin spécialiste en ORL

Diplômé en administration des services de Santé

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