Lettre au Président Diomaye : Remédier aux maux de l’administration sénégalaise (Par Arona Diop)
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Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Faye, Président de la République du Sénégal, c’est avec un grand honneur et un réel plaisir que je vous adresse ces propos.
Je tenais tout d’abord à vous féliciter de votre brillante élection à la tête de la République du Sénégal et vous souhaite plein succès pour la réussite de vos missions et projets pour un Sénégal émergent et prospère.
C’est un truisme de dire que la jeunesse a joué un rôle déterminant dans la victoire de votre coalition. La révolte des jeunes s’est prolongée dans les urnes pour ainsi consacrer une nouvelle ère qui s’ouvre pour notre pays. Pour avoir joué sa part de partition, il s’agit plus que jamais encore de bien prendre en compte ce pan de la société, dont vous êtes porteur d’espoir.
Il est à constater pour le regretter que ces dernières années, cette franche importante de la population en pénurie d’horizons prometteurs pour des lendemains meilleurs s’est mis à douter très fort de son avenir.
Rappelons que le Sénégal a une population très jeune. La jeunesse d’aujourd’hui, comme dépeint dans mes précédents articles, serait en quête de repères, de modèles d’hommes politiques, et surtout d’hommes d’Etat.
Dès lors, pour renverser la tendance et prendre en main les rênes de notre destinée commune, il s’agit à présent de se retrousser les manches, mettre le pied à l’étrier afin d’inviter élites et dirigeants à renoncer aux jeux des « gadgets politiques » pour se mettre au travail et assurer un Sénégal meilleur.
Son Excellence, Monsieur le Président, permettez-moi de revisiter quelques défis majeurs dans la perspective de mieux restaurer la démocratie et la bonne gouvernance au Sénégal dans le chemin de l’émergence.
La gouvernance démocratique, vitrine d’une nation, est assez problématique dans nos sociétés africaines. Du fait du modus opérandi et du modus faciendi des pratiques politiques, le Sénégal a semblé reculer en matière de démocratie pour s’éjecter, selon les classements récents de références, dans les dix (10) premières places en matière de liberté et de démocratie en Afrique (Selon Democracy Index, rapport 2019 The Economist intelligence Unit (EIU) et le bureau de recherche indépendant du journal).
Cependant, l’élection du 24 mars 2024 a démontré une fois de plus la maturité de la démocratie sénégalaise qui a su se relever de ses « crises » sociales, politiques et institutionnelles, se mouvoir pour se hisser haut et tenir la dragée haute. C’est ce qui fait la marque des grandes nations. Le Sénégal ne saurait déroger à cette règle
Son Excellence, Monsieur le Président, à travers cette modeste contribution à l’effort de réflexion sur le devenir de notre cher pays, nous vous invitons à prendre à bras le corps ces maux qui gangrènent et plombent le fonctionnement de l’administration sénégalaise. En fonctionnaire avéré et averti que vous êtes, il urge de lutter vigoureusement et avec diligence contre ceux-ci en vue de leur éradication :
Le clientélisme politique :
Nous ne cesserons jamais de le dire : œuvrons et mettons les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Le recrutement d’un personnel politique ou d’un aréopage de clientélisme qui ne maitrise pas assez les contours de l’administration ou qui manque d’un professionnalisme ou d’éthique, corrompt la performance du travail d’équipe. La prise en compte d’intérêts personnels, voire politico-politiciens pousse bon nombre d’acteurs de l’administration à « privatiser » indirectement l’administration publique. Nous assistons souvent à une mascarade de stratégies et tactiques pour politiser des postes et récompenser de manière discriminatoire des personnes choisies selon des critères d’appartenance partisane, amicale voire pour d’autres considérations non professionnelles. Les guerres de positionnement d’agents aux antipodes des vertus et rigueurs administratives ne sauraient augurer de résultats probants. Pire, le ridicule de l’injustice enfonce des agents compétents, épris d’éthique et de déontologie empêtrés dans les méandres de la frustration et du découragement. Loin de s’armer de science, de sagesse et d’humilité, le ridicule emporte certains dans un sarcasme et un environnement superflus, faisant fi de professionnalisme et de déontologie.
Dans le monde politique, on ne lésine pas sur les moyens pour s’éterniser au pouvoir. La fin justifiant les moyens, la lutte pour acquérir des prébendes, l’abnégation et la hargne pour le maintien à des postes politiques, font rage et deviennent une véritable sinécure pour ceux-là même qui sont sensés nous représenter. Ces politicards sont légion dans nos administrations.
Soigner son image d’homme politique, feindre de bien travailler et investir les réseaux sociaux telle est la belle parade trouvée : « exister » en faisant preuves de subterfuges.
Toutefois, l’espoir est permis ! En effet, face à la massification de l’éveil des consciences des masses et la présence avérée d’une intelligentsia dans l’espace public, il s’avère de plus en plus improbable de détourner ou manipuler ses concitoyens voire de « corrompre les esprits ». Le partage à outrance du pouvoir pour ne pas dire la boulimie du pouvoir reste le fléau majeur à éradiquer dans nos institutions. Et ça devrait inéluctablement passer par la dépolitisation de l’administration.
Il faut que l’on comprenne que la politique n’est pas un métier, c’est une fonction que l’on exerce et qui permet de rendre service à son pays. Dans son sens le plus noble, la politique devrait constituer un espace où les hommes incarneraient les bonnes valeurs d’honnêteté, d’éthique, de gestion transparente des politiques publiques, de respect de la parole donnée, bref de vertu et de responsabilité etc. C’est un sacerdoce.
C’est aussi un état d’esprit. Contrairement à ces hommes politiques connus et reconnus de tous, démasqués et mis à nu pour s’être longtemps arrogés le droit de berner à tout va le peuple, il faut que cette nouvelle génération se réinvente en faisant de la politique autrement. Il faut qu’ils apprennent à s’oublier pour l’intérêt commun.
Certaines nominations dans l’administration sénégalaise frisent le ridicule : un sociologue promu au poste de gestionnaire ou comptable, un géographe affecté à la place du planificateur, et vice versa. Vous conviendrez avec moi, Son Excellence Monsieur le Président, que les profils dédiés à ces fonctions et postes existent bien dans la hiérarchie A de la fonction publique. Les critères pertinents d’affectation aux postes ne sont pas mis en avant du fait de considérations aux antipodes des compétences requises. Le coupable désigné c’est les guerres de positionnement ardues dans l’administration. (Manna Manna Manna teu du yaw est très fréquent dans l’administration sénégalaise). C’est le lieu de lancer un appel à l’humilité et à la conscience professionnelle.
Il n’y a pas que cela. On ne saurait s’accommoder de cette habitude bien sénégalaise et irrespectueuse des horaires et rendez-vous professionnels. Autrement dit, pourquoi l’homosenegalensis a-t-il une relation conflictuelle avec le temps et ponctuée par des retards, absences non justifiées ou rendez-vous manqués ? C’est dire, qu’il existe une culture du retard qui est ainsi normalisée. En effet, bien ancré dans nos mœurs, cet état d’esprit déteint très souvent sur les activités de toutes sortes notamment dans l’administration ; cette notion de « l’heure sénégalaise » bien de chez nous démontre à suffisance nos pratiques et habitudes décalées volontiers à nos convenances et acceptées et légitimées par tous comme faisant force de loi. Cela ne choque plus même les plus rigoristes qui ont fini par se plier à ce « règlement » estampillé sénégalais, la loi du plus grand nombre est établie. C’est la voie ouverte à la banalisation du scandale et l’art même de scandaliser la banalité, pour ainsi reprendre Hannah Arendt, philosophe juive d’origine allemande.
Aux autorités étatiques et fonctionnaires, nous vous prions de cultiver le sens du travail bien accompli à l’opposé d’un recrutement clientéliste et pratiques ostentatoires. Seul le travail dans l’humilité mènera notre pays à l’émergence. Militons pour une république des valeurs et non à la faillite des institutions étatiques due aux comportements et attitudes décriés plus haut et qui se caractérisent par une mauvaise gestion des affaires de la cité.
Les recrutements « hors normes » basés sur le clientélisme politique ne peuvent que faire perdurer les lenteurs administratives et engendrer des forfaitures dans nos institutions.
Ce qui explique aujourd’hui la montée en puissance de cette pratique de la transhumance politique au Sénégal, qui a pris une ampleur considérable ces dernières années ; elle a inscrit les gens entre stratégies de survie et crise d’identité ; ils se rangent naturellement du côté de leurs intérêts.
Les jugements de valeur sur le nouveau Président foisonnaient ; des étiquettes de salafiste, d’incompétence par manque d’expérience, d’incursion dans le banquet des instances internationales telles que les Nations unies s’amenuisent et la raison retrouve lentement mais sûrement ses droits. Evidemment, le changement de gardes robes et de costumes est en cours pour un meilleur positionnement des futurs transhumants. Ce renouvellement se manifeste jusque dans les discours taillés sur mesure pour plaire au roi et à sa cour.
Difficulté à investir les jeunes dans les postes de responsabilité :
L’injustice, vous connaissez pour avoir subi ses affres, Monsieur le Président. Paradoxalement, si vous avez subi l’injustice, c’est plus pour vos postures légalistes et exigence professionnelle qui révèlent une « conviction de vie » bien trempée que pour des raisons juvéniles ; le génie n’attend point le nombre d’années. Vous n’en avez cure car c’est connu que vous avez toujours eu un dépassement de ses aléas de la vie professionnelle.
Vous le savez, dans les plus grandes démocraties, les jeunes sont très tôt investis dans les instances de décisions ; dans la même lancée, ils sont préparés à représenter leurs pays respectifs dans les grandes instances nationales et internationales partout où besoin sera.
Dans notre pays, sévit une mentalité qui voudrait que les critères d’âge soient mis en avant pour des postes de responsabilité. Parallèlement, les partenaires et homologues étrangers sont en majorité des jeunes qui représentent dignement et avec compétence leurs pays respectifs. Paradoxalement, dans le cadre des échanges, plus spécifiquement, des projets et programmes élaborés et mis en œuvre, il existe un réel décalage générationnel entre eux, les sénégalais ayant l’âge de leurs parents. Ce renouvellement générationnel s’impose à nous. Evitons ce complexe et investissons massivement les jeunes dans les postes de responsabilité.
Cette jeunesse mérite d’être encadrée et accompagnée. Il serait alors crucial de lui confier des postes de responsabilités pour qu’elle « s’acclimate » et s’imprègne le plus tôt possible des règles de fonctionnement, des institutions, instruments et autres procédures administratives, législatives et judiciaires en vue d’apprendre à défendre dignement les intérêts du Sénégal aux niveaux national et international.
En effet, le leadership des jeunes se forge à travers diverses responsabilités qui leur sont confiées ; cela les prépare à devenir de véritables leaders, imbus des valeurs de la République et dont les compétences sont avérées. Il y va de l’intérêt du Sénégal d’assurer une meilleure représentativité de sa jeunesse dans les instances de décisions et l’avenir nous le dira.
Je réitère les propos d’Alioune FALL qui disait à propos du président nouvellement élu : « Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, Président de la République du Sénégal. Un plafond de verre qui saute, lueur d’espoir pour les millions de jeunes du pays discriminés et ostracisés pour leur âge. Quand t’es jeune, on t’oblige à suivre la queue, peu importe tes compétences parce que, estime-t-on, tu es encore jeune et tu as toute la vie devant toi alors qu’on meurt à tous les âges. », Marrant mais tellement vrai.
Etant les futurs leaders, c’est un devoir pour nos dirigeants de bien préparer et de former les jeunes, de les associer à l’Ecclésia ou l’Agora, de leur apprendre à légiférer, à négocier, à se responsabiliser et à être de vrais patriotes ancrés des valeurs de l’amour de la Patrie. L’une des panacées de cette spirale infernale liée à la problématique de l’emploi des jeunes est la suivante : Mettez les hommes qu’il faut à la place qu’il faut sans parti pris, voire de façon impartiale. Et dans cette perspective, espérons-le, une nouvelle dynamique va s’offrir à la nation et consistant à valoriser les compétences.
Ainsi nous pourrons reléguer aux calendes grecques cette conception qui voudrait qu’il faut : soit faire de la politique pour trouver un « poste sur mesure », soit faire partie du cercle des intimes des hommes politiques ou être un proche du pouvoir.
L’emploi des jeunes est une priorité pour tout gouvernement souhaitant le développement. Il sera important d’investir le champ du partenariat public-privé à travers des conventions en faveur de ce pan de la société.
La participation des jeunes à la vie publique augure une certaine maturité et leur confère le pouvoir de leaders en devenir. C’est de la sorte qu’ils prendront en main leur destinée. L’implication active des jeunes dans les institutions nationales et internationales leur permet de pouvoir influer sur le fonctionnement, voire la bonne organisation des administrations étatiques. Par ailleurs, relève de demain, la jeunesse doit dès à présent développer les bases d’une bonne gouvernance en prônant dans leurs actions la compétence, le respect de l’Etat de droit, l’éthique et la transparence dans la gestion de la chose publique, la lutte contre la corruption, le respect des valeurs morales, des aînés et de la hiérarchie, entre autres pour ainsi assurer l’évolution d’un monde meilleur et garantir le développement durable. Comme quoi, il s’agit de former le citoyen de demain, imbus de ses rôles et responsabilités.
Lenteur administrative et manque de respect des règles et textes de l’administration publique :
Les lenteurs administratives sont très fréquentes dans nos administrations. Il est à noter pour le regretter le manque criard de diligence dans le traitement des dossiers ; les classeurs estampillés « instances » devraient être bannis et qui justifieraient une méthode de travail archaïque et non productive. Des dossiers sont en souffrances s’ils ne sont pas égarés carrément dans les bas-fonds des casiers ou tiroirs. On peut déposer un dossier et attendre une réponse pendant plusieurs mois, en l’absence de relance, notre dossier peut être perdu, cas très fréquent.
Aussi, est-il à décrier, des agents qui ont fait valoir leur droit à une pension de retraite être toujours en fonction, sans conviction, au détriment de nouvelles compétences laissées en rade ; c’est de l’aberration.
Le manque de respect entre agents de l’administration publique, ou manque de professionnalisme avéré :
La motivation majeure pour un agent de l’Etat dépend de l’ergonomie dans son service. Un espace de travail sans méthode ou organisation, où les services ne sont pas bien structurés donc les rôles et responsabilités non spécifiés clairement, alors c’est de toute évidence le règne du désordre et de l’antagonisme qui instaurent de l’anarchie et plombent son fonctionnement ; des sentiments malsains, les intimidations et les intentions belliqueuses s’imposent pour gangréner cet environnement. Cela est peut-être dû au manque de professionnalisme et aux guerres de positionnement, voire de jalousie qui gangrènent ainsi le bon fonctionnement de nos administrations. Comment ne pas évoquer Cheikh Anta Diop, historien, anthropologue, et homme politique sénégalais qui disait « Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents ». Les manipulations et autres attitudes machiavéliques doivent être systématiquement éradiquées de l’administration, ce patrimoine commun. Prônons les belles vertus de l’humilité et de la générosité dans le partage des connaissances afin de nous renforcer en compétences et être assez performants. La connaissance s’acquiert dans l’humilité.
La puissance divine guide le destin des hommes, Dieu place qui il veut. L’élection du Président Diomaye doit servir d’exemple. Rappelons cette assertion primordiale que nous délivre l’Omnipotent dans le verset 26 (Al Imran – ?? ?????) : « Ô Allah, Maître de l’autorité absolue. Tu donnes l’autorité à qui Tu veux, et Tu arraches l’autorité à qui Tu veux. Tu donnes la puissance à qui Tu veux, et Tu humilies qui Tu veux. Le bien est en Ta main et Tu es Omnipotent. ».
Le manque de transparence dans la gestion des affaires publiques :
La bonne gouvernance exige de la transparence dans les dépenses publiques. La corruption que ce soit par le bas ou par le haut doit être bannie par toutes administrations.
En définitive, les perspectives sont assez prometteuses même si les défis sont énormes ; mais le plus important c’est d’avoir le courage en bandoulière le dépassement de soi dans l’humilité afin qu’ensemble, unis et polarisés par un même destin, nous puissions œuvrer à sortir notre cher pays le Sénégal des ténèbres du sous-développement vers la lumière de l’émergence ? C’est ce défi qui se pose à notre monde contemporain.
Avec le courage, la détermination, la persévérance, le sérieux et l’humilité on y arrivera.
Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le président de la République, mes salutations les plus distinguées.
Arona DIOP
Analyste politique et spécialiste des relations internationales
Diplômé des sciences politiques et des relations internationales