Le soutien bavard et révélateur de Tariq Ramadan à Ousmane Sonko (Souleymane DIÈNE by Lequotidien)

Lors des événements des 1er et 2 juin 2023, Ousmane Sonko a reçu des soutiens internationaux dont les plus marquants ont été ceux des Egyptiens Tariq Ramadan, Saber Mashour et du Mufti marocain Ahmed Raïnou-ssi. Les trois ont en commun l’appartenance aux Réseaux des Frères Musulmans. Un soutien aussi inédit engendre inévitable-ment des interrogations sur les liens qui pouvaient exister entre l’ex-Pastef et cette organisation promotrice de l’islam politique depuis sa fondation en 1929 en Egypte. Certains avancent que l’ex-Pastef est un parti islamiste qui n’a pas révélé sa véritable identité, et aux Sénégalais et aux militants. Ces soutiens charrient des indices qu’il faudra décrypter, même si la situation a beaucoup évolué avec l’incarcération de Ousmane Sonko et la dissolution de Pastef.
Président Ousmane Sonko (Pros) et beaucoup de membres du bureau de Pastef ont un passé militant islamiste, pendant leurs études à l’Ugb où ils contrôlaient la mosquée. Des batailles rangées les ont opposés à des étudiants des confréries soufies, notam-ment tidianes et mourides, à qui ils interdisaient d’organiser des zikr, une pratique soufie, dans ce lieu de culte.
Dans l’espace politique, l’ex-Pastef est une singularité avec les attaques frontales contre les guides des confréries soufis (Qadriyya, Tijaniyya, Muridiyya, Layeniyya, etc.), des régulateurs du vivre-ensemble et des piliers de la stabilité du Sénégal.
L’outrage aux guides religieux est porté par son bras politique de la diaspora qui doit se charger de leur décrédibilisation, et Ousmane Sonko est allé jusqu’à demander à ses militants de ne pas écouter les consignes de ces khalifes qui sont des «suppôts du régime en place». L’écoute et l’obéissance seront transférées vers sa propre personne, en jouant sur son charisme qui sera utilisé à plein régime. Il est affublé de tous les noms pouvant le valoriser ou créer une vénération. Il est surnommé «Usmaan Mu Sell mi», le Saint Ousmane, et «Seydina Usmaan», malgré les accusations de fornication dans un salon de massage. Ces noms sont aussi une référence au 3ème Calife de l’islam, Uthman Ibn Afan, dont il s’attribue, symboliquement, les pouvoirs spirituel et temporel dans un pays laïc.
Il est aussi sur une posture de concurrence symbolique avec ces confréries dont il détourne les signes distinctifs et modes de consignes. Les «njell», des effigies des guides portées par les talibés, sont remplacées par les siennes, les meetings sont appelés Magal, les consignes politiques de Pros deviennent des «Ndigël». Contradictoirement, il fait allégeance («Jébbalu») à un Cheikh mouride comme alibi politique au cas où…
Une véritable contre-culture de désobéissance religieuse est insidieusement incrustée dans l’esprit des militants, particuliè-rement des jeunes désocialisés et en perte de repères.
Face aux interrogations sur le Projet de l’ex-Pastef, Ngagne Demba Touré (de la Jeunesse patriotique de l’ex-Pastef), tel un fou du roi, a frappé fort en soutenant que «l’élection du Président Ousmane Sonko (Pros) est une infime partie du projet de ce parti dont l’objectif majeur est la «Dahwa», (le prosélytisme, la prédication), combattre l’adoration d’hu-mains par d’autres, pour répandre l’unicité de Dieu au Sénégal». L’allusion est claire, elle est adressée aux confréries soufies, c’est la relation du Cheikh avec le «Murid» (l’aspirant, talibé) qui est indexée.
C’est un véritable «Takfir» implicite (excommunication) qui leur est adressé.
Malgré l’ancienneté de l’islam, ce pays n’est pas encore sorti de la «Jahiliyya» (paganisme) et il a besoin de l’ex-Pastef pour purifier son islam dominé par le Soufisme, une forme de «Shirk» (bokkaale), expression utilisée par les salafistes contre les confréries. Quelle insulte, pour les saints («Wali» dont El Hadji Omar, Ahmadou Bamba, El Hadji Malick Sy, El Hadji Abdoulaye Niass, etc.) et pour les guides actuels. Pour étayer son argumentaire, il renvoie à l’article 5 des statuts de ce parti qui ne traite nullement de l’islam.
Parle-t-il d’un autre parti ou d’un groupe organisé hors de vue ?
Ou Pastef est-il un parti islamiste au regard des objectifs que Ngagne Demba Touré lui assigne ?
Pastef aurait-il d’autres statuts différents de ceux déposés au ministère de l’Intérieur ?
Aucune voix officielle de ce parti ne s’est élevée pour dénoncer cette «bourde», à moins que ce soit un coming out. Concomitamment, à la prise de position de Ngagne Demba Touré, la mise en place de l’Association des Doomu Daara (des religieux, enseignants arabisants, oustazes, etc.) a été accélérée.
La démarche de l’ex-Pastef a toujours été faite de flou et d’esquive dans ses options fondamentales (vision, doctrine, programme, etc.). Il est exactement sur les mêmes pratiques mises en œuvre par les Réseaux Frères Musulmans qui utilisent la technique de la «Taqiyya» (la dissimulation) pour avancer masqués vers la conquête du pouvoir.
La «Confrérie» des Frères Musulmans (à ne pas confondre avec les confréries soufies) est un rRéseau international présent dans plus de 80 pays du monde, avec un énorme financement du Qatar à travers différents réseaux financiers très complexes. Elle a élaboré toute une théorie sur le salafisme politique, ayant pour finalité, dans une démarche panislamique, l’avènement d’un Califat mondial.
Leurs théoriciens, notamment Hassan Al Bannah le fondateur, Sayyid Qutb et plus tard Youssef al-Qaradawi (télé prêcheur égyptien à Al Jazeera), ont réussi à unifier autour de cette idéologie toutes les organisations se réclamant du salafisme politique, malgré des divergences tactiques et sur les moyens utilisés (Al Qaida, Daesh, Hamas, Al Nosra, Tanzim Al Jihad, Gamaat Islamiyya, les Frères Musulmans à travers le monde, etc.).
Certains fondateurs et acteurs des organisations djihadistes armées ont été des frères musulmans ou proches (Ezze-dine Al Qasssam dont le bras armé du Hamas porte le nom, Abdullah Azzam, Ben Laden et Ayman Al Zawahiri d’Al Qaida, Al Bagdadi de Daesh, les Fedayin de l’Islam iranien, etc.). Sayyid Qutb résume cette idéologie ainsi : «il n’y a pas d’islam sans Djihad», sous-entendu le djihad offensif contre les ennemis internes et externes de l’islam qu’il faut vaincre pour les réislamiser ou les islamiser.
Les fréristes n’affichent jamais clairement leur objectif dans des conditions où ils sont minori-taires. Ils créent un écran de fumée en ne formulant pas ouvertement le projet politique et utilisent un double langage rendant difficile la découverte ou la compréhension de ce qui est en jeu. Le projet réel ne sera divulgué qu’en cas de rapports de forces favorables. C’est la technique de la «Taqiyya», qui est de la dissimulation, le mensonge, le double langage. C’est une technique qui leur permet de se faire oublier, d’infiltrer tous les secteurs de la société, les confréries soufies, l’Etat, la Justice, l’Adminis-tration, les Forces de défense et de sécurité, etc. D’ailleurs, en Egypte en 1952 et au Soudan en 1969, des putschs ont été organisés par des officiers appartenant à une structure militaire clandestine des Frères Musulmans comme Nasser et Gaffar El Numeiry, appuyés par Hassan Tourabi, guide des frères musulmans soudanais.
Profitant des «printemps arabes», les Frères Musulmans ont accédé au pouvoir, par le truchement d’élections démocra-tiques, en Egypte (Parti Liberté et Démocratie), en Tunisie (Ennah-da) et au Maroc (un Premier ministre issu du Parti de la Justice et du Développement-PJD- est nommé par le Roi). Dans tous ces pays, c’est un bras politique légal qui porte l’activité politique, non les Réseaux des frères musulmans en tant que tel.
Quand ces nouveaux élus ont commencé à déployer leur programme caché aux électeurs, comme la remise en cause de la laïcité, l’imposition de la Sharia, l’obligation du voile pour les femmes, ils ont été balayés par des révoltes populaires ou des putschs avec l’appui des popula-tions. En période de reflux politique ou de répression, les Frères Musulmans utilisent les mêmes méthodes que les groupes terroristes. Le Groupe Tanzim Al Jihad, qui a assassiné en 1981, le Président Egyptien Anouar El Sadate, est constitué d’anciens étudiants membres de la «confrérie» dont Ayman Al Zawahiri, successeur de Ben Laden. Les mêmes méthodes avec des attentats meurtriers seront reconduites en Egypte avec la chute du Président Mohamed Morsi en 2013.
Les Frères Musulmans alter-nent, en fonction des conditions, l’usage des outils de la démo-cratie et la violence terroriste. Dans les pays où l’accès au pouvoir s’inscrit dans une perspective lointaine, ils n’hési-tent pas à créer ou à accentuer le chaos, comme en Syrie et en Libye. La politique de l’ex-Pastef s’inscrit dans cette voie et il tente de créer le chaos (appels multiples à l’insurrection, au coup d’Etat, le renversement du régime par un coup de force, etc.), espérant ainsi faire pression sur l’Etat (pour l’abandon des poursuites judiciaires contre Sonko pour viol et diffamation) et en même temps mettre Sonko en pole position pour une redistribution des cartes en cas de négociation. Ainsi, Ousmane Sonko n’hésitera pas à casser toutes les cordes susceptibles de détricoter l’unité nationale, notamment l’ethnicisme, le séparatisme, en transformant la ville de Ziguinchor dont il est maire, en zone libérée et en bastion politico-militaire.
L’objectif recherché est de faire de cette région, meurtrie par de longues années de guerre, un moyen de pression sur l’Etat, et pire, en outil pour casser l’unité nationale.
Il partira de Ziguinchor, sous la forme d’une «longue marche», pour déloger du Palais le président de la République, ce qui aboutira aux émeutes meurtriè-res des 1er et 2 juin 2023.
C’est dans ces conditions que Pros a reçu le soutien politique des Frères Musulmans comme Tariq Ramadan (petit-fils du fondateur de ce Réseau), Saber Mashour (recherché par l’Egypte pour attentats terroristes et fils du 5ème Guide Suprême des Frères Musulmans) et le Mufti marocain Ahmed Raïnoussi, idéologue du Pjd du Maroc.
Au Sénégal, Ousmane Sonko s’appuie aussi sur les Frères Musulmans appelés communé-ment les «Iibadous» (Jamatou Ibadou Rahman) qu’il ne faudrait pas confondre avec les Wahhabites de «Ahl As-Sunna wal Jama’a» de Cheikh Ahmad Lô et de Al Fallah qui sont, pour le moment, dans un salafisme prédicatif. Mais toutes ces franges du salafisme ont apporté leur soutien à l’ex-Pastef lors des différentes élections.
Les Frères Musulmans sont très présents dans les milieux étudiants depuis les années 80 (Ucad, Ugb, etc.) et ont des ramifications multiples : des associations d’imams/prédica-teurs, des associations d’étu-diants, des instituts de formation, des mosquées appelées «iba-dous», des Ong de «bienfaisance sociale» travaillant à une islamisation par le bas, des syndicats, des réseaux de journalistes, etc. Ce qui est nouveau dans ce mouvement, c’est l’existence de syndicats animés par des proches de ce Pastef qui se sont signalés en défendant des militants de leur corporation ayant maille à partir avec la Justice dans le cadre de leurs activités politiques.
Toutes ces associations sont financées par le Réseau interna-tional Frères Musulmans avec des institutions financières et fondations internationales alimentées par le Qatar, subsi-diairement par la Turquie qui joue un rôle d’entremetteur avec les Qataris, notamment dans le secteur de l’éducation.
Ces organisations, bien que soutenant Sonko, ont été très discrètes, mais la sortie de Ngagne Demba Touré les a mises au-devant de la scène. Un des idéologues de l’ex-Pastef (ancien Imam à l’Ugb) et mentor de Ngagne, a essayé de le défendre en arguant que Pastef est composé de plusieurs courants dont celui appelé par euphé-misme le courant «doomu daara», pour ne pas dire islamiste. Ce qui est visible sur la scène politique actuelle n’est qu’une infime partie des Frères Musul-mans Sénégalais.
Y’aurait-il une double organi-sation ?
Ou Pastef serait-il le bras politique légal d’une organisation non ouverte ?
En tout cas, l’essentiel des composantes des Réseaux des Frères Musulmans fonctionnent avec deux niveaux : un clandestin et un ouvert sous forme de bras légal.
Souleymane DIÈNE