L’ambition du gouvernement Diomaye-Sonko face aux transformations des enjeux et défis démocratiques de l’éducation et de la formation
L’élection du nouveau gouvernement suscite d’immenses espoirs pour le peuple sénégalais et, au-delà, tout le continent africain. Dans le contexte sénégalais, ces espoirs sont dus aux sentiments d’impuissance et de fatalité qui ont prévalu jusqu’ici. Les jeunes sont les plus impactés, avec un taux de chômage très élevé, accompagné d’un système éducatif sinistré et d’une formation tertiaire mal articulée. Pourtant, le Sénégal a tenté plusieurs réformes de type amélioratif qui ont connu leurs limites. Aujourd’hui, nous devons aller vers une réforme éducative de type radical. Fondamentalement, nous devons nous diriger vers une réingénierie de notre système éducatif à tous les niveaux. En effet, la gravité du chômage des jeunes et l’extrême pauvreté des ménages dans lesquels se trouve plongé notre pays masquent une crise structurelle bien plus grave. Trois forces majeures se conjuguent pour faire craquer le modèle d’organisation de nos institutions scolaires : l’exigence accrue des citoyens, l’intensification de la concurrence économique des Etats aux plans sous-régional, régional et mondial et, enfin, l’accélération du changement sous toutes ses formes.
La réingénierie signifie inventer un nouveau modèle d’institution scolaire et universitaire qui réponde aux conditions de compétitivités de ce nouvel environnement. Cependant, si les facteurs qui conduisent à mettre en œuvre un programme de réingénierie sont analogues d’un continent à l’autre, la démarche appelle sans doute une adaptation aux conditions sociales, économiques et culturelles du Sénégal. Le nouveau gouvernement du Sénégal a une conscience et une responsabilité plus fortes. En conséquence, la gestion humaine et sociale d’un projet de réingénierie devra être imaginée et conduite de façon créative, participative et complète pour faire face aux enjeux de l’éducation et de la formation.
Il est admis que les ressources humaines constituent l’élément essentiel pour le développement d’un pays, d’une nation et d’un système efficace de gouvernance. Ce n’est pas un cliché, mais une réalité qu’il faut affirmer de plus en plus, car, plus souvent qu’autrement, les priorités sont mises ailleurs. C’est encore plus vrai dans le cas de l’éducation où toutes les ressources
humaines contribuent à donner le service éducatif aux êtres humains que sont les apprenants. Ainsi, la dimension humaine transcende toutes les actions éducatives. Se pencher sur l’éducation et la formation de la jeunesse d’un pays comme le nôtre devient donc un sujet très pertinent dans un tel contexte.
Comme premier enjeu, notre système éducatif fait face présentement à des défis majeurs. Il est interpellé par tout le pays dont les attentes sont très élevées quant au niveau de qualification exigé. S’il se dégage un consensus sur cet objectif de qualité, il n’en reste pas moins vrai que la conception de la qualité n’est pas la même pour tous. Le premier débat à trancher est de savoir à quel niveau nous devons mettre le curseur entre le pôle culturaliste (la production et de la transmission des connaissances en vue de la modernisation et maturation des attitudes et des comportements) et le pôle utilitariste (la production et de la transmission des connaissances en vue des expertises professionnelles utiles au développement socioéconomique). Le premier enjeu est donc le développement d’une stratégie afin de rallier tous les intervenants autour d’une définition commune de la qualité de notre système, de viser des objectifs, d’entreprendre une démarche vers des résultats de qualité bien compris et bien acceptés. Mission combien difficile mais essentielle !
Le second enjeu a trait à la performance. Notre système éducatif n’est pas habitué à se heurter a un tel concept comme l’efficacité, l’efficience, la productivité, le rendement, la qualité, l’excellence. Ce nouveau vocabulaire, plus utilisé dans les organisations privées, est maintenant monnaie courante en éducation. Il n’est pas toujours facile de se les approprier et de les adapter à la situation des organisations éducatives comme les nôtres. Tout un système de valeurs est mis en cause ainsi que la compréhension du travail des acteurs éducatifs.
Le troisième enjeu se rapporte au phénomène de la pression populaire. En effet, notre système éducatif est de plus en plus soumis à la pression d’un public plus informé, plus instruit et, en conséquence, plus exigeant. En tant que contribuable participant au financement d’un système qu’il juge dispendieux (environ 40% du budget national) et comme principal responsable de l’éducation de ses enfants et de support à leur avenir, le citoyen exige des acteurs éducatifs un service de qualité. C’est son droit et il veut l’exercer pleinement. Les responsables de notre système d’éducation et de formation, au premier desquels le gouvernement, ne peuvent échapper à cette obligation pressante, surtout si on leur donne les ressources nécessaires pour y parvenir.
Devant ces trois enjeux, le défi de la gestion des institutions scolaires est posé ainsi que, par le fait même, celui de la gestion des ressources humaines.
1. La nécessité de réinventer un autre modèle de gestion
Les diagnostics posés précédemment et la lecture des besoins nouveaux suite à l’avènement du gouvernement Diomaye-Sonko montrent bien la nécessité de procéder à un changement
majeur dans la manière de concevoir et d’exercer la gestion de notre système d’éducation et de formation. En tant qu’acteur du système, on a vu que les nombreux obstacles à une conduite efficace des affaires éducatives sont liés en grande partie au modèle bureaucratique dominant, qui favorise le maintien de pratiques de gestion inadéquates et peu adaptées aux besoins actuels. C’est donc bel et bien le passage à un autre modèle de gestion qu’il faut opérer dans le secteur de l’éducation. En somme, le référentiel des pratiques de gestion doit être remodelé à partir d’accents et d’équilibres différents et fondé sur des représentations et des valeurs autres.
2. Pour changer le Sénégal, il faut des femmes et des hommes éduqués
Qu’il provienne des technologies, des idéologies, des compétitions, des conflits, des politiques, de l’économie ou de la globalisation, le changement social se transmet par des phénomènes intermédiaires ou médiations : évolution, diffusion, acculturation, modernisation, industrialisation, urbanisation et bureaucratisation. Au sein de ces médias, les acteurs sont des individus. Plusieurs théories et modèles disponibles établissent et expliquent le rapport entre les connaissances, compétences et attitudes individuelles, d’une part, et le changement social, d’autre part, pour simplifier le texte nous en retenons trois.
2.1 La théorie du capital humain
Considérant que le développement est une œuvre humaine, cette théorie assure que l’amélioration de la main-d’œuvre est le principal investissement et que la formation du capital humain est la voie royale vers le développement, bien plus que les ressources naturelles, l’aide étrangère et le commerce international. Par conséquent, une augmentation conséquente de la scolarisation devait aboutir à une augmentation de la qualité de vie aussi bien pour les individus que pour la société.
En se basant sur plusieurs travaux scientifiques, il est possible de montrer que, aussi bien au sein d’une entreprise que d’une nation, il existe une corrélation forte entre la courbe de l’apprentissage et la courbe de développement : le niveau de développement technologique et industriel ne dépasse jamais celui d’expertise que présentent les membres d’une organisation ou le système éducatif d’un pays. Le fonctionnement optimal du Sénégal ainsi que son développement économique seront tributaires du degré de qualification de ses ressources humaines. Il devient donc impératif pour les nouvelles autorités d’accorder une attention particulière à la gestion, à l’administration et à la gouvernance de nos institutions scolaires.
2.2 La théorie de modernisation
Les sociétés et les civilisations se développent parce que la plupart des individus constitutifs sont animés par des valeurs individuelles qui ouvrent leur société au changement économique et technologique, comme par exemple le refus de s’accommoder à la précarité. Cette révolution axiologique advient avec une réingénierie sociale, œuvre d’institutions sociales de plus en plus modernes. C’est dire que la révolution axiologique procède d’une succession des causalités. Le rôle de l’école ne se limite pas à l’apprentissage des seules aptitudes intellectuelles et
techniques ; il s’étend aux valeurs, croyances et comportements. La modernisation d’une société repose donc sur celle des aptitudes, valeurs, comportements et croyances individuels.
Une société dont les citoyens demeurent insensibles à la notion de personnalité, à l’importance accrue des projets plutôt que des nostalgies, à la notion d’une communauté métatribale ou métaéthnique, à l’objectivité, à l’équité, à la participation, à la curiosité intellectuelle, à l’exactitude de l’information, à la capitalisation du temps, au v respect du bien commun, au respect des règlements professionnels, au souci de la salubrité publique et de l’environnement, au développement durable, etc., ne peut se moderniser.
2.3 Le principe de la proximité verticale dans l’adoption des technologies
Le développement a une forte dimension territoriale. En raison du fait qu’un savoir ne peut se répandre que dans un certain rayon, une contrée ne peut accéder à une technologie de pointe que si cette technologie se trouve à sa portée. Or, quelle que soit la distance géographique, les pays à revenu moyen imitent plus facilement les technologies de pointe que les pays à revenu faible, et les pays plus avancés en recherche et développement imitent plus facilement les technologies de pointe que les pays moins avancés, presque condamnés à la stagnation.
La cause de cette différence serait que les pays avancés peuvent réinventer pour leur propre cause les savoirs et les technologies importés des pays développés, alors que les pays pauvres perdront leurs ressources à acquérir, puis à assimiler les technologies indigestes déjà existantes.
En somme, le nouveau est attendu en matière d’éducation et de formation sur sa capacité de fournir à la société sénégalaise, surtout à la jeunesse les connaissances, les compétences et les attitudes optimales pour enfin aller véritable vers l’émergence. Pour y parvenir, il faut une réingénierie sur le modèle actuel de la décentralisation de la gouvernance des institutions scolaires ; une réingénierie sur la formations des acteurs du système ; une réingénierie sur le mode financement et, enfin, une réingénierie sur le mode du choix des femmes et des hommes qui dirigent ces institutions.
Mamadou Vieux Lamine Sané, Ph.D en Administration de l’éducation (UQAM-CANADA) Diplômé de l’école nationale d’administration publique du Québec-Canada (ENAP) Professeur invité Université Laval-CANADA
Enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Hamidou Kane (Ex-UVS)
Président –Directeur Général de l’Institut supérieur d’ingénierie, d’éducation et de management appliqué (ISIEMA