Non Monsieur le président du Conseil Constitutionnel, le secret de la démocratie Sénégalaise, plus que le bulletin de vote, c’est une armée républicaine.

Le 24 mars 2024, le peuple Sénégalais a élu son 5ème président de la république. Par cette élection, le Sénégal a confirmé sa réputation de vitrine de la démocratie en Afrique. Pour la 4ème fois, le pays opère une transition pacifique du pouvoir dont les trois dernières de façon démocratique (1980, 2000, 2012, 2024).
La particularité de celle de 2024, c’est qu’elle intervient à la suite de vives tensions qui ont secoué le pays entre mars 2021 et juin 2023 avec ses prolongements jusqu’à la veille de l’élection présidentielle. Pendant cette période, beaucoup pronostiquaient le pire, le basculement, la rupture de l’ordre constitutionnel que notre pays n’a jamais connu.
Mais le dénouement est des plus spectaculaires.
Le président du Conseil Constitutionnel, dans son discours, à l’occasion de la prestation de serment du Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE n’a pas manqué d’en faire mention en ces termes: « Des amis en Afrique nous disent souvent que chaque fois que le pire est prédit au Sénégal en raison de fortes tensions et d’animosités exacerbées, les Sénégalais arrivent toujours à retomber sur leurs pieds, comme si de rien n’était. Forts de ce constat, ils nous demandent : mais quel est donc votre secret ? A mon avis, le secret est dans le bulletin de vote ».
Le président Badio Camara explique donc notre succès démocratique par le système de vote. Je ne conçois pas la chose aussi simple. Si ce n’est qu’une question de bulletin de vote dans l’urne, c’est à la portée des peuples de tous ces pays Africains où l’ordre constitutionnel est souvent interrompu par des régimes militaires. En effet, dans ces pays, ce que l’on constate c’est que leur armée profite de la moindre brouille entre les acteurs politiques ou les civils pour opérer un coup d’Etat. Parfois, les militaires renversent le président démocratiquement élu sans aucune tension politique. Sur de simples questions d’humeur.
Contrairement à ces pays, au Sénégal, les forces de défense et de sécurité en général et l’armée en particulier n’ont jamais dans leur tête, en de pareilles circonstances, l’occupation du Palais de l’avenue Senghor. Ils cherchent plutôt à maintenir l’ordre républicain et à assurer l’exercice du pouvoir du président démocratiquement élu. Quelle que soit l’ampleur du conflit et quels que soient les difficultés et les risques de leurs interventions. Au nom de la république, notre armée n’a jamais choisi la facilité d’un coup d’Etat. Pourtant dans la trajectoire de notre Etat, les occasions n’ont pas manqué : en 1962 (opposition SENGHOR-DIA), en 1963 (manifestation après le référendum avec plus de 40 morts), en 1968 (grève des syndicats et des étudiants), en 1980 (transmission du pouvoir sur la base de l’article 35), en 1988 (crise post-électorale, année blanche), en 1993 (crise post-électorale, assassinat de maître Babacar SEYE) en 2021 (affaire Sweet beauty), en 2023 (manifestation après le jugement de l’affaire Sweet beauty), 2024 (crise politique après le report de l’élection présidentielle).
Pendant tous ces moments de hautes tensions, notre armée n’a jamais perdu de vue que le pouvoir politique c’est pour les civils et que sa place c’est dans les casernes.
Cette posture républicaine constante, notre pays la doit à plusieurs générations d’officiers supérieurs de son armée avec de grands chefs d’état-major général, du premier Amadou FALL jusqu’au dernier Mbaye CISSE.
Mieux, il a été révélé dans plusieurs mémoires d’illustres personnalités de notre histoire, à certaines occasions, le rôle déterminant de l’armée pour dénouer les crises, évitant surtout de prendre le pouvoir.
Lors de la crise du 17 décembre 1962, après concertation des différents chefs militaires, sous la conduite du colonel Jean Alfred DIALLO, des visites ont été rendues tour à tour aux deux protagonistes SENGHOR et DIA.
Le récit que nous en fait le président DIA, dans son livre mémoires, Afrique, le prix de la liberté à la page 213, est suffisamment révélateur que notre armée a été moulée solidement avec des valeurs républicaines. Jean Alfred DIALLO, accompagné d’un groupe d’officiers s’adressait ainsi au président DIA : « Monsieur le Président du Conseil, nous venons d’être reçus par le Président de la République. Il nous a fait un cours de droit constitutionnel pour expliquer sa position. Nous lui avons dit que nous n’étions pas venus pour cela, que notre mission était de l’informer que les forces de sécurité, soucieuse d’éviter tout affrontement entre unités, demandent au président de la république de trouver une solution politique à la situation que nous vivons. Nous venons à vous, Président du Conseil pour vous faire part de cette requête ».
En ce jour marquant le 64ème anniversaire de notre accession à la souveraineté internationale dont le thème est « le rôle des FDS dans la cohésion nationale », à la suite d’une transition démocratique du pouvoir chantée partout dans le monde, rendant fiers Sénégalais et Africains et porteuse d’espoir pour le futur de l’Afrique, c’est le moment de rendre hommage et de dire merci à notre armée, à nos soldats et à toutes nos forces de défense et de sécurité en tant qu’acteurs décisifs, souvent oubliés, de la démocratie Sénégalaise.
Dakar, le 4 Avril 2024
Khalifa Babacar DIAGNE Psychologue Conseiller
Juriste Spécialisé en Citoyenneté, Droit de l’Homme et action Humanitaire
Khalifadiagne74@hotmail.com